Meg's Diary

<< Je m'appelle Margaret, nom que j'ai en horreur, ce pourquoi tout le monde m'appelle Meg. Ce n'est pas une option, à moins que vous ne soyez de l'administration ou issu d'une forme d'autorité quelconque. Bref, quelqu'un qui ne m'inspire pas beaucoup de sympathie, quoi.

J'ai toujours été une fille à problème, comme on dit. Je me suis dit, petite déjà, que si je ne pouvais pas faire ce que je voulais quand je le voulais, alors rien dans cette existence n'avait de sens. Ca a fait de moi une sacrée battante, mais ça m'a bien mal adaptée au monde. A l'époque, je me disais que c'est parce que le monde n'était peuplé que de moutons, que j'y étais un loup, et qu'à cause de cela peu de gens me toléraient.

Enfant, mon horizon n'était pas bien loin, et cette philosophie fonctionnait. Plus j'ai grandi, plus la ligne a reculé, plus je voyais le vaste monde, et plus mes limites semblaient perdues dans l'infini... Adolescente, j'ai tout vécu à fond, j'ai fait toutes les âneries que j'ai pu trouver, et je me suis fait une belle bande d'amis à peu près aussi fous que moi ! On était les loups, et il nous semblait que tous les moutons s'écartaient sur notre passage : on rayonnait, et ils avaient bien raison d'avoir peur !

Comme je me trompais... En réalité, mon désir de liberté et d'indépendance étaient justes, mais mon interprétation était bien fausse, et tellement limitée... A bien y réfléchir, notre meute ne rayonnait que parce qu'il nous semblait qu'en comparaison du reste du monde, nous étions meilleurs. Nous n'étions pas des soleils, nous n'étions que des lunes renvoyant son aveuglante lumière. 
Nous avons dérapé. On a complètement perdu le contrôle de notre soif de sensations vives, de liberté. Notre soif d'ivresse, si ce n'est pas antinomique. Notre soif de jeu. Nous vivions un jeu.

A l'arrivée, car il y en avait une, on s'est pris un bon mur. On s'est fait mal. Le réveil a été brutal. Du moins, pour moi, et mon amie Manon. Je ne sais pas comment on a réussi, enfin, à prendre conscience de ce que l'on faisait. C'était comme prendre du recul, voir le tableau que notre meute peignait au hasard, et découvrir que l'ensemble ressemblait à un terrible cauchemar. Toutes ces frasques nous avaient coupées de nos familles, et... pff... toutes ces frasques nous avaient coupées de la réalité, de notre vie, de ce que nous étions, car nous n'existions plus qu'à travers la meute.

Je me souviens, c'était un soir qui avait bien dérapé. Manon et moi, on était sur le canapé défoncé de la baraque qui était devenue notre QG, clope au bec, fin de soirée, on se sentait bien... fin de soirée, entendons-nous bien : l'aube se levait. Tous les autres dormaient et nous, on refaisait le monde, à notre bonne habitude. Mais cette fois, c'était différent. On était plus lucides, il nous semblait voir plus clair... La discussion s'est poursuivie, et on s'est mises pleurer, comme ça, spontanément. Ca faisait bien longtemps qu'on ne pleurait plus, pourtant. Du coup on s'est senties bêtes, on a éclaté de rire et quand finalement le silence est revenu, on a compris : on venait de tourner une page. Cette fois, on avait la plume à la main, et c'était à nous de poser les premiers mots. On a quitté la baraque, on a fait un petit sac chacune, et on est parties chez mon cousin, le seul qui me supportait encore. Il habitait loin de la bande, loin de ces vieilles pages qu'il n'était pas temps de relire, et c'est tout ce qui comptait. Là-bas, on en a bavé, mais chacune de nous s'est trouvée un petit boulot, et on a fait de notre mieux pour trouver un début de chemin à construire.

Aujourd'hui, Manon vit à une heure de train de chez moi, elle essaye de devenir coiffeuse-maquilleuse pour film, elle s'est bien débrouillée. Moi, je suis venue m'installer dans cette ville parce que c'est là que mon groupe se réunit : un groupe de rock, de toutes nouvelles têtes que j'ai rencontrées... un peu déjantées, mais sérieux dans leur musique. Je bosse dans un resto qui fait bar, le soir. Je sais, on pourrait croire que mon environnement n'est pas meilleur que le précédent, mais pourtant, je parviens à me maintenir à flot sans sombrer dans le n'importe quoi. Grâce à une connaissance de mon cousin, j'ai pu louer un loft. C'est pas terrible, et encore un peu vide, mais c'est chez moi. Je ne sais pas encore vers où me diriger... peut-être musicologie... j'essaye un peu de tout, j'espère trouver un truc qui me plait, comme Manon.

Une chose est sûre : je me sens plus libre et indépendante maintenant que je reprends ma vie en main, qu'à cette époque où je pensais être libre tout en dépendant de la meute et du regard de ceux que je prenais, prétentieuse, pour des moutons.
Je vais devenir un soleil, rayonner par moi-même, sans avoir besoin de personne pour ça. Pour être libre, il faut s'en donner les moyens. Tout a un prix, et plus le rêve est précieux, plus il coûte cher. Quoi de plus précieux que la liberté ? Ca demande un effort de chaque jour, pas question de se laisser aller et s'enfoncer comme dans un marécage. La liberté que je vois aujourd'hui, est infiniment plus vaste, infiniment plus belle, et elle demande d'avancer, toujours plus loin, pour faire reculer encore l'horizon. >>